Retour sur une collection de courts-métrages intitulée Ten Minutes Older : The Cello & The Trumpet, qui n'a pas eu la notoriété méritée malgré les cinéastes prestigieux réunis pour l'occasion : Bernardo Bertolucci, Mike Figgis, Jiri Menzel, Istvan Szabo, Claire Denis, Volker Schlöndorff, Michael Radford, Jean-Luc Godard, Aki Kaurismäki, Victor Erice, Werner Herzog, Jim Jarmusch, Wim Wenders, Spike Lee et Chen Kaige. Quinze auteurs réunis non pas autour d'un sujet commun, mais d'une durée commune : dix minutes. .
Coproduit en 2002 entre l'Allemagne et le Royaume-Uni, Ten Minutes Older est divisée en deux parties, The Cello et The Trumpet, mais les films évoqués ci-après le sont dans le désordre. Le thème de l’étranger, ou plutôt de la difficulté d’être étranger, est au centre de deux films : celui, totalement indigeste, de Bertolucci, qui voit Valeria Bruni-Tedeschi recueillir un clandestin bangladais ou pakistanais, l’épouser, lui faire deux mômes, avant que le charmant monsieur, désespéré d’avoir balancé sa voiture neuve dans un ravin, s’en aille retrouver un vieillard joueur de pipeau qu’il avait abandonné sous un arbre à son arrivée en Italie ; et celui de Claire Denis (baptisé Vers Nancy), dont on ne saurait trop dire s’il est fictionnel ou documentaire, basé sur une discussion dans un train entre une jeune femme et le philosophe Jean-Luc Nancy (d‘où l‘ambiguïté du titre), discussion polémique portant sur l’accueil des étrangers en France. Du blabla agréable à écouter mais sans grand intérêt. La réalisatrice fait néanmoins preuve d’une autodérision bienvenue quand, au terme du débat, Alex Descas intervient et dit, parlant du voyage "C‘était rapide et agréable", avant que Nancy ne lui rétorque "Oh, tout de même un peu long ! "
Comme à son habitude, Godard jongle aussi entre la fiction et le documentaire en utilisant le même procédé que pour ses Histoire(s) du Cinéma, à savoir des extraits de films mélangés à des sons extra-diégétiques et à des bribes de phrases inscrites sur fond noir. Une douche froide expérimentale, aussi fascinante que grotesque. L’Américain Mike Figgis donne également dans l’expérimental en développant le concept complexe de l’écran divisé en quatre, déjà employé pour les besoins de son précédent Time Code. En dehors de cette coquetterie, la chose, qui abuse des ralentis et des effets de flou, ne propose rien de transcendant et se permet même le luxe d’être ennuyeuse.
Certains cinéastes ont clairement opté pour l’approche documentaire. C’est le cas, par exemple, d’Herzog qui nous refourgue un condensé de vieilles images tournées en Amazonie, probablement à l’époque de Fitzcarraldo, sur une tribu locale menacée d’extinction, affublé d’un nouveau commentaire en anglais. Intéressant mais complètement décousu. Quant à Spike Lee, il joue les Michael Moore du pauvre en allant interviewer les protagonistes de la campagne perdue d’Al Gore en 2000 (on n’en sort pas), histoire de marteler encore un bon coup que Bush Jr a triché (ouhh, le vilain !). Un montage rapide de séances d’entretiens ineptes, à peine perturbé par quelques images d’archives. Digne d’un reportage de CNN… D’autres metteurs en scène ont en revanche choisi la voie de la fiction. Passons sans peine sur l’opus de Michael Radford, bizarrerie futuriste qui voit un jeune astronaute, de retour sur Terre, rendre visite à son fils devenu un vieillard mourant. Pas médiocre, simplement transparent, à l’image de la carrière de Radford dont le seul titre de gloire reste à ce jour le surestimé Il Postino. Le Chinois Chen Kaige signe un court humoristique et émouvant ayant pour personnage central un illuminé qui rêve d’une maison sur un terrain vague, et qui embauche pour ce faire un quatuor d’ouvriers quelque peu surpris de devoir transporter des objets fictifs, donc invisibles.
Vingt ans après Paris, Texas, Wenders est toujours aussi passionné par le désert américain, la preuve avec un court très stylisé et réglé comme une horloge, dans lequel un jeune automobiliste voit sa raison vaciller au fil des kilomètres parcourus, sous un soleil de plomb, sur les longues nationales texanes. Kaurismäki réunit à nouveau les deux personnages de L’homme sans passé. Lui sort de prison, elle travaille dans un restaurant, il vient l’arracher à son quotidien morne pour filer vers la Sibérie. Délicieusement pince-sans-rire. Dans un noir et blanc délavé, le revenant Victor Erice met en scène un accouchement dans une hacienda, non sans s’être au préalable attardé, par de longs plans fixes crispants, sur la monotonie pesante qui règne en ce lieu. Oubliable...
Aussi surprenant soit-il, seuls deux cinéastes ont choisi de traiter la situation dans sa durée réelle : le Hongrois Istvàn Szabo qui, avec un sens de l‘économie et de la dramaturgie remarquable, montre comment, en l’espace de dix petites minutes, une vie de couple jusque là heureuse peut basculer dans le drame. Elle a tout préparé pour leur anniversaire de mariage, lui rentre bourré après une soirée entre amis, il est violent, met la maison sans dessus dessous, elle le poignarde accidentellement en tentant d’éviter ses coups ; et Jarmusch, sobre et tranquille, qui décrit les dix minutes de pause d’une actrice (Chloë Sevigny) entre deux scènes, dans sa caravane, attendant qu’on vienne la chercher. .
Concluons par les deux œuvres les plus enthousiasmantes de ce programme. Tout d’abord celle du Tchèque Jiri Menzel, un grand parmi les grands que l’on croyait disparu pour de bon et qui nous revient avec un court-métrage doucereusement mélancolique tourné dans de séduisantes teintes sépia. Menzel se contente de peu de choses : un montage de petites séquences campagnardes, parfois même de photographies, pour évoquer le temps qui passe, au rythme d’une partition fanfaronne. Mais c’est l’opus de Volker Schlöndorff qui emporte finalement ma complète adhésion. Dans un camping quelque part en Allemagne, le dîner d’une famille on ne peut plus teutonne - le père en short et en sandales qui fait griller les saucisses, la mère maquillée comme un cadavre (interprétée par Irm Hermann, ancienne égérie de Fassbinder) - tourne au vinaigre lorsque la fille y convie son fiancé, Noir, sans doute Américain, et de surcroît fervent adversaire de l’alcool. La scène est observée et commentée par un moustique. Un régal d’humour caustique.
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