dimanche 15 juin 2008

Décadence : la Suisse interdite

La Suisse n'est pas précisément réputée pour son cinéma de genre, bien que s'y tiennent quelques manifestations intéressantes ayant trait aux bas-fonds du cinoche d'exploitation (le NIFFF à Neuchâtel, l'Underground Film Festival à Lausanne). Un homme a pourtant décidé de rompre la monotonie ambiante, il s'appelle Jean-Clément Gunter et cela fait quelques années que le gugusse bricole des bandes horrifiques tout seul dans son coin, qu'il édite ensuite en DVD et distribue lui-même via sa société JCG Productions. Un autodidacte pur et dur, en somme. Intrigué par la petite réputation de son œuvre auprès des connaisseurs, relayée par quelques sites Web qui en assurent bravement la promotion, j'ai donc logiquement commandé auprès du réalisateur un DVD de son dernier méfait, Décadence, qui nous promet de la violence et du gore à foison. Après visionnage de la bestiole, le verdict tombe : c'est tout nase. Visuellement parlant, Décadence arbore le cachet d'un Jean Rollin des mauvais jours (ce qui, tout bien réfléchi, est peut-être un compliment), avec pléthore de plans approximatifs, des acteurs qui n'en sont pas et des effets gore très cheap qui, mine de rien, ont probablement nécessité beaucoup de boulot (une décapitation, pas évident à bricoler, ça !). L'histoire ? Trois psychopathes adeptes du satanisme vivent dans les bois et s'attaquent aux randonneurs égarés, qu'ils torturent, tuent et bouffent. Difficile de tenir la route avec un synopsis aussi ambitieux, qui s'étale sur plus d'une heure vingt et multiplie les personnages, quand on dispose d'un budget famélique. Difficile en effet d'engager des comédiens crédibles, obligation de faire jouer des potes qui manquent d'éclater de rire à chaque réplique, pas moyen de s'offrir les services d'un maquilleur chevronné pour les trucages. Le résultat est si laborieux qu'il m'a été impossible de regarder le film d'un trait, entrecoupant régulièrement la projection de pauses Roland-Garros. L'ambition aurait été plus raisonnable en format court. Louons tout de même l'entreprise, qui permet au cinéma helvétique de proposer autre chose que du Alain Tanner. Et soyons honnêtes : beaucoup d'entre nous seraient incapables d'en faire autant.

mercredi 4 juin 2008

Mel Ferrer tire sa révérence

C'est une dépêche AFP tombée tard dans la nuit qui nous a appris le décès d'un acteur qui nous était très cher, Mel Ferrer, à l'âge respectable de 90 ans. La dépêche, comme toujours très concise et fort peu loquace lorsqu'il s'agit d'évoquer en détails le parcours d'un comédien qui n'a plus depuis longtemps les honneurs de la presse, se contente simplement de mentionner que Mel Ferrer a été l'époux d'Audrey Hepburn, alors que la carrière de l'artiste va bien au-delà de ces épousailles romanesques. Il y a eu deux périodes très distinctes dans la riche carrière de Mel Ferrer, élégant acteur de grande taille, beaux yeux bleus et chevelure rousse : en premier lieu sa période hollywoodienne, qui comporte de grands classiques où il tient le haut de l'affiche. De mémoire, je citerais quelques œuvres qui ont bercé mon enfance, comme Les chevaliers de la table ronde de Richard Thorpe (il joue le roi Arthur), le superbe western de Fritz Lang L'ange des maudits (aux côtés de Marlene Dietrich) ou encore un flamboyant Scaramouche de George Sidney (il est le Marquis de Maynes). Passé de mode à Hollywood, il s'exile en Europe dès les années 60. Même s'il prête sa remarquable stature à quelques films d'auteurs (comme dans Lili Marleen de Fassbinder), c'est dans le cinéma populaire qu'il s'illustre de nouveau. Il est excellent en aristocrate perfide dans Le corsaire noir de Sergio Sollima. A l'image d'autres vieilles glorioles tombées en disgrâce (Arthur Kennedy, Edmund Purdom), il finit par sombrer dans le cinéma d'exploitation le plus radical. L'impitoyable Umberto Lenzi le recrute pour les besoins de La secte des cannibales et de L'avion de l'apocalypse, où il joue les seconds couteaux de luxe sans conviction. On le voit aussi chez Sergio Martino (Alligator) et Alberto Marras (le modeste polar Gang Buster). Paradoxalement, c'est plutôt grâce à cette obscure partie de sa filmographie qu'il a été redécouvert par une nouvelle génération de cinéphiles. Pour certains, Mel Ferrer est davantage perçu comme un glorieux "has been" recyclé dans le bis européen que comme un grand d'Hollywood. Egalement en quête d'un nom prestigieux pour rehausser son casting, Tobe Hooper l'a fait tourner dans Le crocodile de la mort. Avec Mel Ferrer, c'est à la fois une des dernières légendes d'Hollywood et un solide acteur "bisseux" qui disparaît.