mercredi 14 juillet 2010

Wesley Snipes sur les traces de ses semblables

Malgré un CV bien plus étoffé et diversifié que celui d'autres ex-gloires du film d'action tombées en disgrâce, la carrière de Wesley Snipes suit depuis une petite décennie maintenant le même chemin que celle de ses confrères Seagal, Van Damme et Lundgren, sous la forme d'une descente progressive et irrégulière vers des productions au budget anémique délocalisées en Europe de l'Est. Mais à la différence d'un Seagal qui transforme en bouse tout ce dans quoi il apparaît, d'un Van Damme qui réduit de plus en plus son rythme de tournage et d'un Lundgren qui préfère se mettre lui-même en scène, Snipes alimente régulièrement les étagères de vidéo-clubs de films au cachet satisfaisant dirigés par des messieurs expérimentés. Petit passage en revue.

Au moment de ses ennuis avec le Fisc américain, qui l'ont un temps dissuadé de retourner aux States sous peine d'y être arrêté et jeté en prison, Wesley Snipes vivait réfugié en Roumanie où il enchainait les productions Andrew Stevens à un rythme soutenu. 7 Seconds, réalisé par le même gars qui avait enrôlé Van Damme pour un Second in Command également tourné dans les studios de Castel Film, met en scène Snipes dans le rôle d'un voleur professionnel embarqué dans un braquage de fourgons blindés qui tourne mal en raison de la présence d'un authentique Van Gogh parmi les objets de valeurs. Visiblement en bonne entente avec les autorités de Bucarest, la production s'autorise des trucs fous, comme des poursuites automobiles et des effets pyrotechniques dans les vieilles rues du quartier historique de Lipscani. L'inévitable scène de night-club est, comme d'habitude, tournée dans le sous-sol du Twice, un club branché très réputé de Bucarest où sont organisés, chaque vendredi, des concours de striptease (je le sais, j'y ai assisté un bon nombre de fois...). Pour la petite histoire, le roi du porno roumain Titus Steel y a ses quartiers et on retrouve même sur YouPorn une vidéo dudit Steel filmée sur les banquettes reconnaissables en mille du Twice. Notons, et je ferme là la parenthèse, que Castel Film, en tant que prestataire de services, n'hésite pas à refourguer tels quels les mêmes décors d'une production à l'autre. Ainsi, la maison dans laquelle Olivia Bonamy résiste à de mystérieux assaillants dans Ils... est exactement la même, à la vis près, que celle où Steven Seagal trouve refuge dans le nullissime Shadow Man. Allez vérifier si vous avez des doutes... Toujours emballé pour le compte du crochu Andrew Stevens qui, à l’instar de Corman et de Charles Band, a décidé de faire des économies en partant filmer en Roumanie, The Marksman transforme les vastes étendues valaques qui entourent Bucarest en plaines tchétchènes dévastées par la guerre... Bref, tout cela pour dire que tourner chez les Daces offre certains avantages tant les exécutants locaux, trop flattés de voir les stars ricaines gambader dans leurs rues sales, multiplient les courbettes vis-à-vis de leurs clients, quitte à investir chaque lieu et recoin de Bucarest. Qui connait la capitale roumaine s'amusera donc de voir l'ancien bâtiment de la Securitate, dont les ruines sont aujourd'hui surmontées d'un édifice moderne aux vitres vertes (une belle audace architecturale), transformé en siège de la CIA dans The Detonator, production qui fait suite à 7 seconds. L'histoire est sensiblement la même, puisqu'il y est question de trahison sur fonds de quête d'un objet censé rendre riche son acquéreur. A vrai dire l'intrigue importe peu car ce qui compte ici c'est l'action, et il y a là de quoi largement sustenter le spectateur écervelé, passant outre invraisemblances (un motel en Roumanie...) et jeu d'acteurs tout pourri (les mêmes tronches reviennent d'ailleurs d'un film sur l'autre, car Castel Film aime bien aussi épuiser son catalogue de figurants patibulaires). A noter la participation de Michael Brandon, qui n'a jamais rien fait de notable depuis Quatre mouches de velours gris d'Argento. Mais la présence d'un has-been au générique est toujours bon pour grappiller l'attention de quelques amateurs de direct-to-video.

Une constante chez nos vedettes du marché de la vidéo: enchaîner deux ou trois produits sous la direction du même réalisateur. Wesley Snipes débusque ainsi l'Autrichien Josef Rusnak, en hibernation depuis son sympathique Passé Virtuel en 1999, avec lequel il tourne d'abord The Contractor, s'évitant d'inutiles frais de déplacement puisqu'il passe des plateaux de Castel Film à Bucarest aux ceux de Bojana à Sofia, récemment devenus succursale de Nu Image depuis que David Varod, l'un des pontes de la firme, a racheté l'ensemble des anciens studios d'État (et que Wesley connaît déjà pour y avoir tourner Unstoppable de David Carson quelques années auparavant). The Contractor constitue le haut du panier de la carrière bis de Snipes, qui ici incarne pour la énième fois un ancien combattant reconverti en exécuteur de la CIA chargé d'abattre un terroriste arabe «pour garantir la sécurité des États-Unis». Il est d'ailleurs amusant de constater que toutes ces séries B axées sur le patriotisme paranoïaque de l'Amérique sont pour la plupart tournées en terre étrangère, comme quoi, lorsque les raisons économiques prévalent, il n'est plus guère question d'être patriote. L'action est censée se passer à Londres, ce qu'on ne mettra jamais en doute jusqu'à l'intervention du générique final encombré de noms à consonance bulgare. Habité par son personnage, Wesley donne le meilleur de lui-même et la gamine qui l'accompagne réussit l'exploit de ne pas être insupportable. Après un passage chez Mario Van Peebles pour les besoins d'un Hard Luck qui m'a tendu maintes fois les bras mais que j'ai finalement renoncé à voir pour causes de critiques dissuasives, Wesley fait de nouveau équipe avec Rusnak sur une suite improbable à l'efficace The Art of War intitulée The Art of War II : Betrayal. Rusnak accouche là d'un film esthétiquement laid, surchargé de corps-à-corps et de gunfights très mous, dont le rendu à l'image est empiré par les prouesses d'un monteur qui a du se régaler à faire joujou avec les boutons "accéléré" et "ralenti" de sa table de montage. L'actrice principale, en plus d'être moche comme un poux, joue comme une cochonne. Weslay, lui, garde toute sa prestance, déambulant nonchalamment au milieu d'un scénario pas plus mauvais qu'un autre, impliquant politiciens corrompus, hommes d'affaires pas nets et tout plein de gens tapotant sur leurs super-ordinateurs. A l'heure où j'écris ces lignes, un Art of War III : Retribution a déjà fait son apparition au Blockbuster Video du coin. Mais sans Wesley qui, débarrassé de ces ennuis fiscaux et fatigué de faire le zouave pour des tâcherons, a fini par retourner aux projets sérieux et friqués (Brooklyn's Finest). Pour combien de temps ?